Aujourd’hui, je suis retournée au bureau déjeuner avec Mireille. C’est une impression étrange que de pénétrer dans un endroit où on pouvait il y a peu encore aller et venir en toute légitimité et où il faut désormais une sorte d’accréditation pour dire bonjour à ses anciens camarades de travail. Plus on avance dans la vie, plus la liste de ce genre d’endroit s’allonge. Ce sont les appartements que l’on a occupés, les bureaux où l’on a travaillé, les maisons de famille qui ont été vendues, les locations de vacances que l’on a colonisées, les hôtels où l’on est passé, les établissements scolaires où l’on a été inscrit… Désormais, c’est de l’extérieur que ces endroits se revisitent. Cependant, il suffit de fermer les yeux pour s’y transporter : derrière telle fenêtre, il y a telle pièce, et dans le coin, là à droite, une lame de parquet qui grince ; l’enfilade des couloirs dans la pénombre de la sieste sent vaguement le moisi ; le fantôme d’une amie de classe se tient debout de l’autre côté d’une muraille devenue transparente, des timbres de voix résonnent sous la véranda. Et les nouveaux venus ne savent rien de tout cela. Comme moi avant eux.
Grain de poivre
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