Mes pas
m’ont portée aujourd’hui au Bon Marché qui n’a plus d’économique que le nom. Ce
ne sont qu’accessoires et vêtements de luxe, tous plus beaux et hors de prix
les uns que les autres. A l’exact opposé de ce qu’était ce grand magasin du
temps de mon enfance et de mon adolescence. On n’y vendait alors que des
articles utiles, à l’épreuve des modes (du moins le croyait-on) : boutons
de nacre, bicyclettes « Peugeot », brosses à cheveux en poils de
sanglier et bois de palissandre, baptiste pour brassières de nourrissons,
uniformes scolaires et laines à tricoter. Les bonnes sœurs et les prêtres dont
le quartier était peuplé venaient s’y fournir. Un rayon particulier leur était
réservé, mystérieux. Les familles nombreuses et les actionnaires jouissaient
d’une réduction de 5 % sur tous leurs achats. Souvent d’ailleurs les familles
étaient à la fois nombreuses et actionnaires, je ne sais si leur réduction
était doublée. Le parquet aux lames de chêne usées craquait sur les solives. Mais
les portes d’entrée aux grandes poignées de cuivre n’ont pas changé :
elles ouvrent désormais sur un univers qu’un certain ordre du monde a déserté.
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