Ma chère tante Mimi,
Je prends ma plume pour vous donner des nouvelles des Francheville. Les malheureux sont tombés dans un piège redoutable et depuis tout le monde leur tape dessus et leur tourne le dos. Vous savez que, ainsi que toute la bonne société picarde, ils étaient très liés avec les Laborde. Les Laborde mènent grand train et ont l’art de donner des fêtes auxquelles on se rendrait sur la tête. Ils ont aussi un magnifique chalet en Savoie, au pied des pistes. Et comme ils sont accueillants et, il faut aussi l’avouer, aiment avoir une petite cour qui rattrape leurs origines assez modestes, ils invitent les gens à la cantonade : « Si vous voulez passer quelques jours aux sports d’hiver, venez donc à la maison, nous serons toujours ravis de vous avoir. » Les Francheville les ont pris au mot et y sont allés entre Noël et le Jour de l’an. Evidemment, la réception a été grandiose. Chambre donnant sur le mont Blanc, jacuzzi, service impeccable et ainsi de suite. La grande vie. Les Laborde ont évidemment insisté pour que la location des skis et les forfaits soient portés sur leur compte. Ils ont invité tout le monde dans le meilleur restaurant du coin et ont emmené leurs hôtes faire un peu de tourisme à Chambéry à bord de leur suv dernier cri. Comme le préfet est de leurs amis, on leur a ouvert le musée après l’heure et on a réquisitionné le conservateur pour faire la visite. Pour couronner le tout, par un temps de rêve, ils ont loué un hélico pour chatouiller les cimes enneigées. Des vacances inoubliables. Sauf que, quand Laborde a retrouvé son usine, tout était sens dessus dessous. Ses ouvriers se sont mis en grève pour réclamer une augmentation arguant que l’entreprise avait fait de confortables bénéfices. La CGT a mis la gomme, l’Urssaf a débarqué, contrôle, redressement, mise en examen pour abus de biens sociaux et trafic d’influence. Scandale. Tout le monde renie Laborde, « Non, je ne connais pas cet homme. » Et ces pauvres Francheville qui avaient eu la vanité de raconter partout leur séjour savoyard font figure de bandits. Désormais quand on est invité, il faut se méfier. La prochaine fois que ça vous arrivera, débarquez avec votre savonnette.
Je vous embrasse bien fort,
Votre fidèle Grain de poivre
votre lettre est délicieuse et rappelle l'ancienne saga de valeurs actuelles : "lettre de Monsieur de... à son cousin de province.".
Rédigé par : adamastor | 10 février 2011 à 12:56